Vandenbroucke: le retour de Leburton ( Dr J. de Toeuf dans le spécialiste)

Les plus anciens d’entre nous se rappelleront la loi Leburton qui en 1963 imposait à tous les médecins des honoraires nationaux, la soumission absolue des médecins aux décisions politiques -et des mutuelles, la tenue obligatoire d’un carnet de santé pour chaque citoyen, et des sanctions lourdes en cas de non respect. Cela a suffi pour que se lève un vent de révolte parmi les médecins, culminant dans une grève nationale, la réquisition des médecins par l’armée et le grand bordel qui suivit, aboutissant à un compromis grâce à la médiation des recteurs des universités : les accords de la Saint-Jean. 

Vandenbroucke: le retour de Leburton ( Dr J. de Toeuf  dans le spécialiste)
2025-06-11

Le projet de loi-cadre, à aucun moment discuté avec l’ABSyM ou le Cartel, présenté très sommairement à un moment dit de concertation aux syndicats médicaux, explicité lors d’une session informative à l’INAMI, met à néant ce qui reste de négociation médicomutualiste. Il s’agit d’une prise en main totale de l’organisation et du financement public des soins de santé par le ministre.

Les détails de cette révolution conceptuelle ont été publiés dans la presse (voir en bas d'article), ils ne sont pas repris dans cet article. Le projet est présenté comme une rationalisation des règles INAMI au nom de l’accessibilité et de l’équité, de l’usage raisonné des ressources limitées de l’assurance maladie, un progrès auquel seuls ceux motivés par le profit personnel trouveraient à redire.

Les intentions sont compréhensibles et les objectifs louables. Mais le chemin tracé pourrait être tout autre si les causes réelles des problèmes étaient identifiées et les solutions dégagées par un dialogue de co construction.

Il faut comprendre que les outils de surveillance et de « correction » sont en place depuis longtemps: budget INAMI à respecter avec mesures correctrices des dépassements, glissements de budgets des médecins vers les hôpitaux, d’autres professions de santé et vers d’innombrables structures méso; loi des professions de santé et loi qualité qui créent de nouvelles obligations de process et de résultats; loi créant la commission de contrôle des soins de santé qui sanctionne le non-respect de ces lois y compris des recommandations de pratique ; loi INAMI de Vandenbroucke 1 (2002) donnant des pouvoirs étendus au service d’évaluation et de contrôle médical ( élaboration de critères de bonne pratique, sanctions administratives -donc sans respect des droits de la défense- telles que remboursement des prestations, amendes, interdiction de tiers-payant, etc).

En outre, les syndicats voient leur subside fonctionnel lié à l’obligation de prendre le rôle de propagateurs de la foi plutôt qu’à la promotion des intérêts des médecins -et des patients, celui de la Voix de son Maître si pas de porte-parole du ministre !

Le projet VDB est la pièce faîtière de la construction d’une médecine d’Etat : concentration du pouvoir décisionnel chez le ministre, conventionnement quasi obligé tant par la réservation de primes, forfaits et avantages aux conventionnés que par l’interdiction faite aux non conventionnés d’adapter  leurs honoraires aux besoins de leur pratique, condamnation de la pratique spécialisée extrahospitalière, élargissement des sanctions administratives au retrait du n° INAMI empêchant tout remboursement au patient et toute prescription d’actes et fournitures remboursables (labo, RX, médicament, prothèses auditives et autres, frais hospitaliers, etc). En résumé quelques avantages aux conventionnés, quasi impossibilité de pratique libre, et une avalanche de sanctions.

On cherchera en vain ce qui constituerait un réel progrès : paiement value based, réforme du paysage et du financement hospitalier, analyse des besoins sanitaires  de la population, encouragement à l‘autonomie professionnelle, l’innovation et la pratique individualisée selon la pathologie.  

Il n’y a donc pas que la poursuite du rationnement budgétaire, mais bien l’asservissement du médecin aux règles définies par le ministre : organisation du travail tant individuel qu’en groupe, punitions, financement des pratiques. 

Top down à 100%. La loi INAMI définissait les honoraires d’une convention librement acceptée par le médecin (contrat entre celui-ci et l’INAMI) et la compétence du seul gouvernement quant au montant à charge du patient. La nouvelle mouture rend le conventionnement incontournable en contraignant la libre fixation du prix par le praticien hors convention. Or selon la constitution, nul n’est obligé de conclure un contrat, qui plus est quand celui-ci est réellement léonin.

Nous vivrons , si VDB réussit, un modèle britannique dont on sait les faiblesses et les coûts administratifs exorbitants.

Le journaliste Rik Van Cauwelaert a publié un éditorial éclairant, parlant du médecin-chèque service et d’incompétence ministérielle et d’une situation de guerre , s’étonnant de la rareté des réactions.

Sur les réseaux sociaux dont LinkedIn, nombreux sont ceux qui manifestent leur indignation ou leur ahurissement, appellent à la résistance ou à la confrontation. Le rejet par la profession paraît majoritaire.

Il faut espérer que les syndicats médicaux sauront résister avec vigueur et que les partenaires gouvernementaux amenderont le projet qui demande une analyse lucide et contradictoire et surtout pas un passage en force.

Source : Le spécialiste®