Dans une tribune au Spécialiste, le Dr Gilbert Bejjani, président de l’Absym Bruxelles - Union des médecins, alerte sur une réforme qui, entre réduction des suppléments, révision de la nomenclature et économies budgétaires, pourrait coûter plus cher aux médecins que les suppléments d’honoraires eux-mêmes.
Dans le débat autour du supplément d’honoraires, on met souvent en avant que la part du patient dans les soins de santé est importante en Belgique, entre 20 et 25 % du coût total. Selon l’Agence intermutualiste, en extrapolant, les suppléments représenteraient actuellement entre 1,5 et 2 milliards d’euros. Il s’agit d’une faible partie du budget total de la santé, et qui est en grande partie couverte par des assurances.
Si le gouvernement veut limiter les suppléments, il faut que cette limitation soit argumentée et justifiée. En imposant une limitation des suppléments à 125 % à l’hôpital et à 25 % en ambulatoire, nous risquons de perdre beaucoup. C’est inquiétant pour le corps médical et pour les hôpitaux. En raison de notre résistance au projet de loi-cadre, le ministre Vandenbroucke nous demande de lui fournir des propositions concrètes et motivées. Mais, au final, la décision sera concertée ou imposée, et la limitation arrivera en 2028.
Les effets pervers de la réforme de la nomenclature
La réforme de la nomenclature soulève également de grandes inquiétudes. Dans les négociations, nous discutons actuellement des frais acte par acte. Or, lorsqu’on aura repris de façon granulaire ces frais, la somme totale correspondra grosso modo à tout ce qui est prélevé sur les honoraires par les hôpitaux. Le seul intérêt sera de rééquilibrer les honoraires entre les différentes spécialités.
Dans la plupart des hôpitaux francophones, les spécialités dites « riches » ont des taux de prélèvements importants, qui, en réalité, permettent de couvrir les frais de certaines autres spécialités. Nous risquons de nous retrouver avec le fameux RVU (relative value unit), qui représente la valorisation de l’acte de consultation et constitue la base de l’acte médical, sans qu’il soit plus élevé qu’actuellement. Pour finir, tout cet exercice aura été vain.
Pourquoi ? Parce que la part de frais est colossale en raison de l’inadéquation de l’offre de soins. L’arme « value based » la plus puissante pour développer un appropriate care hospitalier consiste à redistribuer les fonctions et à revoir la taille des hôpitaux, en repensant également la prévention et le dépistage. Dans la réforme de la nomenclature, la marge sur le montant global des frais se situera entre 500 millions et 1 milliard d’euros. Moins, c’est bien ; plus, c’est une catastrophe pour le corps médical.
Des économies qui ciblent toujours les médecins
À cela s’ajoutent les économies exigées. La norme de croissance des soins de santé, entre 2 % et 2,5 %, représente près d’1 milliard d’euros. Or, on nous demande de faire des économies à hauteur de ce même milliard ! Les autorités nous reprennent l’argent qu’elles nous donnent.
Il faut savoir que certains montants prévus dans le budget sont « réservés », d’autres bloqués. On sait bien que la plus grande partie de la norme de croissance ne revient pas aux médecins. Mais là, avec un dépassement budgétaire des médecins de 31 Mio, ce qui n’est rien par rapport au budget global, on vient nous demander une économie de 150 millions ! Il faut aussi se poser la question des soins inappropriés dans d’autres secteurs de la santé et arrêter de viser systématiquement le médecin.
La question des compensations
Reste la question des compensations. Dans le cadre d’une future Pax Hospitalia, le ministre Vandenbroucke serait prêt à compenser aux hôpitaux ce qu’ils vont perdre avec la réduction des suppléments d’honoraires. Les hôpitaux demandent aussi à être protégés de l’impact induit sur leur budget par les économies sur la nomenclature au travers des prélèvements.
Mais les médecins vont perdre plus d’argent que les hôpitaux, et ce sont les hôpitaux qui vont recevoir une compensation ? Or, le budget des moyens financiers des hôpitaux est comparable, voire supérieur, à celui des honoraires médicaux. Pourquoi ce traitement de faveur ?
Une triple pression sur le corps médical
Le corps médical est pressurisé de trois manières : la réduction des suppléments, la révision des frais et les économies disproportionnées. Qu’est-ce qui va nous impacter le plus et sur le long terme ? Allons-nous être touchés trois fois ?
Au-delà de ces réformes, une réflexion s’impose sur le modèle même de la rémunération. Nous pourrions, dans notre pays, envisager un modèle de paiement qui permettrait aux médecins d’exercer en dehors de la nomenclature et du remboursement par l’État. Cela permettrait aux médecins qui le souhaitent de fixer leurs propres tarifs dans un cadre défini.
