Le Dr Jacques de Toeuf (ABSyM) affirme qu’un « système de contrôle machiavélique » s’installe discrètement et expose les médecins à une surveillance permanente. Son analyse s’appuie sur des lois, des rapports et des documents de l’INAMI, dans le contexte de la loi-cadre du ministre Frank Vandenbroucke qui permet le retrait d’un numéro INAMI.

« Que se cache-t-il derrière la possibilité de retirer le numéro INAMI d’un médecin ? » C’est la question qui l’a conduit à investiguer. Il dit avoir consulté les documents passés au Comité de l’assurance et au Conseil général de l’INAMI : en rassemblant « toutes les pièces du puzzle », il décrit « une toile hallucinante de mécanismes de contrôle » suspendue « au-dessus de la tête des médecins ». « Un système est en train de voir le jour, qui est extrêmement préoccupant pour toute personne fournissant des prestations », explique-t-il.
Il pointe d’abord une modification législative de 2023 : les contrôleurs du Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) peuvent demander à la Banque nationale de Belgique l’identité du titulaire d’un compte bancaire visé par une enquête, notamment pour vérifier le bénéficiaire de paiements dans le cadre de contrôles de facturation. « Les contrôleurs de l’INAMI peuvent tout simplement se rendre à la Banque nationale et demander : qui est le propriétaire de ce compte ? Personne ne l’a remarqué. C’est écrit noir sur blanc dans la loi. »
Il évoque ensuite les prérogatives de la commission antifraude, qui collabore avec le Collège intermutualiste, le SECM, le SPF Santé publique, Sciensano et le Health Data Agency : ces acteurs peuvent mener des opérations de datamining sur les données de prestations et de revenus des médecins. « Je comprends que l’on veuille lutter contre la fraude, mais cela va très loin. Sous couvert de lutte antifraude, ils peuvent vérifier qu’un médecin sanctionné n’exerce réellement plus. Mais où est la proportionnalité ? Les médecins n’ont pratiquement pas conscience de l’ampleur de la surveillance dont leurs faits et gestes font l’objet. »
Le Dr de Toeuf rappelle encore l’existence, depuis 2002, d’un régime de sanctions administratives : des amendes peuvent être infligées par le fonctionnaire dirigeant de l’INAMI sans passage par une chambre de première instance ni par une commission d’appel. « Cela figure dans la loi depuis plus de vingt ans. Mais, à la lumière des nouvelles dispositions de la loi-cadre, cela redevient soudain extrêmement pertinent. » La récente loi-cadre ajoute « une sanction nouvelle et plus lourde » : le retrait du numéro INAMI. « À la demande de l’ABSyM et du Cartel, il a été prévu que cela ne puisse se faire que par une instance judiciaire, mais le principe demeure. »
Un nouveau dispositif est par ailleurs instauré par la loi qualité de 2023, avec la création d’une commission fédérale de contrôle. Celle-ci peut vérifier le respect de diverses obligations : information correcte du patient (loi sur les droits du patient), tenue d’un dossier conforme à la loi qualité, ou suivi des recommandations du Conseil national pour la promotion de la qualité (CNPQ). « Un médecin qui s’écarte des directives du CNPQ sur la chirurgie bariatrique, par exemple, peut être sanctionné. Et ne vous y trompez pas : cette commission peut également retirer le numéro INAMI. »
Le praticien alerte aussi sur l’étendue des pouvoirs d’inspection : les inspecteurs n’ont pas à posséder les mêmes qualifications que le prestataire contrôlé. « Un kinésithérapeute ayant suivi une formation complémentaire limitée peut contrôler un médecin. C’est légalement autorisé. Et ce kiné-inspecteur peut se prononcer sur des questions comme la surconsommation ou le respect de recommandations par des médecins. C’est hallucinant. » La loi sur les hôpitaux a, de son côté, prévu des audits portant sur le contenu des dossiers médicaux, la tarification et la facturation, souvent réalisés avec l’intervention d’inspecteurs non médicaux.
Conclusion du Dr de Toeuf : la combinaison de l’accès aux données, des pouvoirs de sanction, des inspections et des zones grises juridiques équivaut à une surveillance continue. « Les médecins ne s’en rendent pas compte. Mais aujourd’hui, ils sont sous surveillance permanente. Jour et nuit. C’est pourquoi je pense qu’il est grand temps de tirer la sonnette d’alarme. »
Les prochaines éditions de Medi-Sphère et du Spécialiste reviendront sur ce sujet.
Source Le Spécialiste®