Gilbert Bejjani : " La nomenclature actuelle est mal faite "

Le report de la décision sur le budget des soins de santé a alimenté tensions et incertitudes, notamment parmi les syndicats médicaux. Pour Gilbert Bejjani, Président de l'Union des médecins (Absym-Bruxelles), l'essentiel est d'adapter la norme de croissance aux besoins réels du secteur et poursuivre une réforme en profondeur du financement hospitalier et de la nomenclature. 

Interview de Nicolas De Paepe pour le" Journal du Médecin" 

Gilbert Bejjani :
2025-02-16

Il insiste sur la nécessité d'une rétribution plus juste des médecins expérimentés, d'un soutien accru pour les soins aux patients BIM et d'une réflexion sur le modèle des forfaits, qui ne peut être une solution universelle.Autant d'enjeux majeurs pour garantir l'accessibilité, la qualité et l'efficience des soins en Belgique. (Cet entretien a été réalisé avant la formation du gouvernement Arizona et les précisions de la Note de gouvernement sur la norme de croissance des soins de santé).

 

Première partie.

Que pensez-vous de la manière dont les libéraux ont préféré postposer la décision finale sur le budget des soins de santé plutôt que de l'entériner, alors que le Conseil général de l'Inami l'avait approuvé ?

G.B.: Il faut revenir sur l'histoire. Ce n'est pas la première fois qu'on a un gouvernement " provisoire ". De mémoire, tous les gouvernements ont changé la norme de croissance. Cela n'a pas posé de problèmes de continuité pendant les Affaires courantes. La situation actuelle s'est accompagnée de beaucoup de " cinéma " et de mises en scène inutiles. Cela a fait perdre du temps à tout le monde, y compris à nous, médecins, avec différents positionnements des syndicats vis-à-vis des accords. Personnellement, j'ai pris du recul sur ce sujet et de manière générale cette dernière année. Et cela m'a fait du bien. Il était quasi certain qu'un budget allait être mis en place. Ne pas indexer les soignants aurait été une pure folie alors que le reste du pays l'est.

Vous êtes déçu ?

G.B. : En octobre-novembre, on a entendu parler de ce vote du budget. On savait aussi que dans les programmes électoraux, Les Engagés voulaient 3,5 % de croissance, Vooruit 2,5 % (raboté finalement à 2 %), et le MR, une norme alignée sur la croissance du PIB, mais surtout avec un discours stigmatisant les médecins (ce week-end le nouveau gouvernement De Wever a annoncé une norme de croissance à 2% qui remontera à 3% en fin de législature, NdlR). De fait, je suis déçu par le MR. L'efficience est bien sûr essentielle, mais il y a une croissance des besoins, notamment due à la croissance de la population, et qui va au-delà de la croissance du PIB. Dire que le secteur des médecins est surfinancé est à la limite de l'insulte. Bien sûr, certains médecins gagnent plus que d'autres, mais c'est aussi parce que la nomenclature a mal évolué. Dans sa forme actuelle, elle est défendue par ceux qui en bénéficient le plus et reste mauvaise et archaïque à mon sens. Elle mélange des éléments de frais hospitaliers, des frais extra-hospitaliers et ambulatoires, et tantôt les frais professionnels sont intégrés, tantôt ils ne le sont pas. Franchement, c'est une soupe, à laquelle les médecins et les hôpitaux se sont adaptés (financement par un pool ou des mécanismes de solidarité par institution).

La patate chaude à l'Open-VLD

Pensez-vous qu'on a refilé la patate chaude à l'Open VLD ?

G.B. : C'était le jeu, je suppose. Cela a mis la pression sur le ministre actuel (Frank Vandenbroucke a finalement rempilé à la Santé publique, ce que nous ignorions au moment où l'entretien est réalisé, NdlR), mais on a pris en otage le soignant et le patient. À titre personnel, je pense que l'Absym et le Cartel étaient inquiets, et c'est légitime. Sans informations sur l'indexation en fin d'année, il est logique que le personnel soignant ait pu envisager de faire grève. On ne peut pas se moquer des gens ! Essayez de réduire les salaires de la police ou dans l'enseignement, et vous verrez ! En Belgique, l'indexation est un acquis. Bon ou mauvais, c'est un autre débat, mais ce système doit être respecté tant qu'il existe. Tous nos frais professionnels et les charges privées sont indexés : le prix des machines, de l'électricité, du personnel, tout est indexé. En pratique, le Cartel a été le premier à allumer la mèche. L'accord pouvait tomber là-dessus. Personnellement, j'ai préféré m'abstenir et rassurer les membres : " Soyez raisonnables, on ne va pas nous tromper. " L'Absym a également pesé pour maintenir la possibilité de sortie ultérieure de l'accord si les négociations n'allaient pas dans le bon sens. Il y avait en effet plusieurs options, dont l'appel aux déconventionnements individuels.
"Une norme de croissance à 3% permet de répondre aux besoins croissants."


Que pensez-vous de l'alignement de la norme de croissance sur le PIB ? N'est-ce pas pragmatique ?
G.B. : C'est compréhensible d'un point de vue budgétaire, car les finances de l'État ne peuvent pas déraper sans cesse. Cependant, limiter actuellement la norme à 2 % reste problématique, et faire moins est grave. Chaque 1 % de norme équivaut à 500 millions d'euros pour un budget de 50 milliards, ce qui est énorme. Et il y a une urgence absolue : réformer les soins de santé. Il y a un momentum unique, quasi historique, à saisir, notamment après la crise du Covid, qui a bien testé la résilience du système. Et pour réformer les soins de santé, il faut réinvestir dans le système. C'est la clé du succès. Réformer tout en asphyxiant les acteurs n'est pas viable. Il faut investir pour que, dans la réorganisation voulue, il n'y ait pas de " grands " perdants. Et commencer par une norme à 3 % au lieu de 2 % permet de mieux répondre aux besoins croissants et de soutenir les réformes. Cela représenterait déjà 1,5 milliard d'euros supplémentaires, qu'on pourrait par exemple utiliser pour en finir avec la réforme du financement des hôpitaux et celle de la nomenclature des médecins. Sans aller dans une granularité infinie, une rebudgétisation sur base d'éléments macro (des médianes de coûts ou de frais) pourrait être facilitée si on met ces 1,5 milliard, avec une part pour les honoraires et une autre pour les hôpitaux. On pourrait imaginer 750 millions pour les honoraires et les soignants et 750 millions pour les hôpitaux, par exemple. La norme peut donc clairement être utilisée pour assurer les réformes attendues

Des économies dans le secteur sont-elles néanmoins possibles ? Certains à la N-VA, notamment, parlent régulièrement de gabegie...

G.B.: Oui, certainement, on peut faire des économies grâce à l'efficience. C'est elle qui permettra de corriger la dévalorisation des prestations (augmenter la consultation à 50 euros, par exemple) et qui permettrait même de répondre à la pénurie de soignants. Il faut donc des marges d'efficience pour investir dans des outils modernes, comme le suivi à distance des patients (tout le mHealth), pour réduire les réhospitalisations et améliorer la qualité des soins. On a déjà 10 ans de retard. Les projets Value-Based Health ont commencé à fleurir dans tous les pays depuis 2010, et même en Europe, mais pas chez nous (cf. en Allemagne, par exemple, le modèle Optimedis et le suivi des patients insuffisants cardiaques, ou des applis de screening pour des pathologies mentales, etc., qui permettent de réduire les hospitalisations pour des décompensations jusque 80 % en moins).

La nomenclature accentue les disparités entre médecins

Comment pallier la grande différence de revenus entre médecins ?

Il faut revoir la nomenclature en urgence, sur des bases simples et solides. Une unité de base est le temps. À niveau d'études égal et à temps de travail égal, une rétribution égale. Bien sûr, elle peut être corrigée par des éléments de risque et de complexité, mais au niveau des prestations intellectuelles et techniques de base, je pense que les écarts ne doivent pas être importants, au risque de recréer la soupe actuelle.

En attendant cette réforme, dans l'immédiat, je pense notamment à l'accréditation comme outil de revalorisation. Il serait possible de maintenir une partie forfaitaire et d'utiliser l'autre partie autrement, sur base de critères de qualité par exemple, pour revaloriser les consultations. C'est une opinion personnelle, j'en conviens, mais il faut pouvoir en débattre.

Il faut de toute manière revaloriser les consultations, et il n'y a pas d'argent dans l'immédiat. Actuellement, l'accréditation bénéficie à certaines spécialités plus qu'à d'autres. Cette disparité est une preuve supplémentaire que la nomenclature est mauvaise, un vrai patchwork. Mais cela n'autorise personne à dire que les médecins sont trop financés. Un médecin renommé est payé 30 euros pour une consultation, autant qu'un logopède. Cela devient ridicule. Il y a un réel problème de valorisation du travail correctement fait.

Vous verriez donc plus de différenciation en fonction de l'ancienneté ?

G.B. : Plutôt en fonction des compétences et de la valeur ajoutée dans les soins. C'est un peu la base même de la subsidiarité. Si vous voulez que les médecins puissent déléguer des choses simples, il faut alors revaloriser ce qui est plus complexe ou risqué.

La formation et l'expérience des médecins doivent être valorisées. Si vous ne valorisez pas la formation, vous finissez par créer un système inéquitable. Dans les professions médicales où la formation est plus longue, la carrière est aussi plus courte.

Actuellement, comment accepter que le tarif pour un accouchement par un gynécologue ou par une sage-femme soit quasi équivalent ? Je citais tout à l'heure la consultation du médecin et du logopède, mais aussi du psychologue.

Il faut aussi bien réfléchir à la subsidiarité : pour des gestes simples, il est acceptable que ce ne soit pas le médecin qui intervienne, mais lorsque le médecin prend en charge des cas complexes, il doit être rémunéré en conséquence. Il faut toujours se poser la question dans les cas de délégation : quelle est la place du médecin ? Quelle est sa valeur ajoutée ?

C'est un peu la même chose avec les hôpitaux. Quand tout le monde fait tout, et que la base est le prix de la journée justifiée, il devient difficile pour certains d'investir dans des soins complexes et/ou d'abandonner des soins moins complexes.

Dans un réseau hospitalier, répartir les soins devient complexe. Si vous arrêtez de réaliser certains actes, cela modifie tout le case-mix et la valeur de votre journée justifiée. Il semble pourtant évident que les hôpitaux académiques ou de référence devraient se concentrer sur les pathologies les plus lourdes, tandis que les hôpitaux périphériques, secondaires ou régionaux doivent gérer des cas plus légers.

" Les patients BIM sont souvent plus complexes et/ou précaires, nécessitant plus d'attention ou de temps. "

Dans votre vision des choses, que faire des BIM dans le cadre général de la réforme de la nomenclature ?

G.B. : Les BIM (bénéficiaires de l'intervention majorée) sont un enjeu complexe. Pourquoi ? Parce qu'on touche à nouveau à une catégorie de médecins en plus.

En hospitalier, il y a déjà eu une limitation, mais il reste la possibilité d'avoir, à la demande du patient, un séjour en chambre individuelle avec des suppléments un peu plus libres.
Dans l'ambulatoire, les médecins vont perdre cette liberté tarifaire, et pour des prestations techniques simples ou des prestations intellectuelles. Le levier n'est pas énorme pour compenser cette perte de revenus. De plus, en dehors de l'hôpital, le médecin ne peut bénéficier de mécanismes de solidarité ou de pool.
Cela dit, il ne faut pas oublier que tous les patients ne disposent pas d'assurances couvrant leurs frais. Et les patients BIM sont souvent plus complexes et/ou précaires, nécessitant plus d'attention ou de temps.
Je plaiderai volontiers pour un mécanisme de revalorisation urgente des consultations et/ou du DMG pour les patients BIM, afin d'éviter des tensions inutiles et un effet inverse : une réduction de l'accessibilité.

Que faire des gains d'efficience ?
G.B. : Pour rappel, si la norme de croissance est utilisée pour financer la réforme des soins de santé, alors les gains d'efficience doivent être complètement réinvestis dans le système.

Aujourd'hui, une logique en silo prévaut : chaque secteur cherche à se revaloriser, sans cohérence globale. Nous devons récompenser les médecins qui se donnent les moyens d'assurer un travail de qualité, et miser moins sur le volume et certainement pas sur la redondance. Il y a des marges à saisir pour revaloriser.

Il faut pouvoir imaginer des modalités de soins où la disponibilité du médecin soit rémunérée, justement parce qu'il évite des retours ou des hospitalisations. Cela vaut certainement déjà pour une série de pathologies chroniques comme le diabète, la BPCO, l'insuffisance cardiaque, etc.

Ces dispositions doivent être intégrées et rémunérées de manière équitable. Tout miser sur le volume n'est plus viable.

Que pensez-vous du modèle basé sur les forfaits ?
G.B. : Le modèle des forfaits a ses limites.

Il faudrait envisager des modalités qui rémunèrent les médecins pour leur disponibilité et leur suivi des patients, même en l'absence de consultations physiques. Ces modèles, on l'a déjà dit, ont prouvé leur efficacité pour réduire les réhospitalisations. Ces initiatives doivent être encouragées pour éviter des coûts inutiles et améliorer les soins.

Le forfait convient bien aussi pour des permanences rendues obligatoires pour beaucoup. Comment imaginer encore des médecins dans les hôpitaux, sans une rétribution pour la disponibilité ? Par contre, pour des prestations techniques, comme la chirurgie, où l'intervention est connue et codifiée, le paiement à l'acte est un excellent modèle. Il favorise l'amélioration continue et la revalorisation de celui qui travaille plus et donne plus.

Deuxième partie

Vous semblez très attaché à la concertation. Pourquoi ?
Gilbert Bejjani : La concertation est un atout unique en Belgique. Dans d'autres pays, tout est imposé sans discussion. Dans les pays voisins, que l'on prend parfois comme modèles, le ministre décide sur la base des analyses de son département et de quelques experts. Ici, nous pouvons encore débattre et proposer des compromis. La sécurité sociale est une richesse qu'il faut préserver. Autour de cette solidarité, la concertation reste un bien précieux.

" Je préfère "oui, mais" à "non", comme méthode de travail dans le cadre de la concertation. "

Je dis souvent " Oui, mais... " plutôt que simplement " non " aux réformes ou aux propositions qui sont soumises. C'est une approche constructive. Cette méthode donne, je trouve, un nouveau visage au syndicalisme. Cela étant, je ne suis pas celui qui décide, loin de là. Il y a un organe d'administration fédéral, un comité directeur et, bien entendu, un président. D'ailleurs, le prochain président devrait être un francophone et, c'est vrai, je n'ai pas encore songé à la possibilité de me présenter à l'élection fédérale de l'Absym.

L'Absym est composée de chambres et est paritaire à tous les niveaux, entre médecins généralistes (MG) et spécialistes, mais aussi entre francophones et néerlandophones. Historiquement, il y avait trois chambres francophones qui se répartissaient les postes d'administrateurs (et les voix) en trois tiers. Mais, depuis la fusion de deux d'entre elles, certains ont l'impression d'un déséquilibre dans la représentation francophone.

Il faut aussi rappeler que lors des élections syndicales, où l'on vote pour choisir les syndicats, nous ne savons pas précisément qui vote pour quelle chambre, mais uniquement qui vote pour l'Absym dans son ensemble. De ce fait, la parité est essentielle, car elle assure un poids égal à chaque composante du syndicat.

Je ne sais pas encore si je me porterai candidat, mais si c'est le cas, mon engagement de campagne sera basé sur un " oui, mais ", dans une dynamique de renforcement de la concertation, de la démocratie interne et des actions concrètes sur des points fondamentaux et tangibles pour tous, comme la nécessaire revalorisation des consultations, mais aussi des permanences en général et de la disponibilité à l'hôpital.

Que répondez-vous à ceux qui critiquent votre syndicat comme étant "scrogneugneu" ou corporatiste ?
G.B. : C'est une critique facile, mais elle ne reflète pas la réalité. Nous avons évolué. L'Absym s'est rajeunie et féminisée. Les jeunes médecins ont voté pour nous, car nous avons porté des combats qui les concernent directement, comme la réforme du "numerus clausus" et les conditions de travail des jeunes assistants.

J'ai toujours défendu bec et ongles la situation précaire des assistants. Ce n'est pas nouveau.

Cela ne signifie donc pas que nous sommes enfermés dans une posture négative. Si je me portais candidat à la présidence, je défendrais une approche plus constructive, en renforçant notre ouverture et notre transparence.

Vous parlez parfois de combats perdus. Avez-vous des exemples ?
G.B. : Nous avons certes perdu certains combats importants, comme la limitation des suppléments pour les chambres à deux lits, ce qui constitue une entrave à la liberté de pratique pour les médecins hors convention. Le projet BIM en est un autre pour le secteur ambulatoire, tout comme certaines réformes imposées, comme la vaccination par les pharmaciens. Nous avons parfois péché par le refus, sans proposer d'alternatives négociables (avis personnel, bien sûr).

La norme de croissance est un autre bon exemple. Nous n'en avons quasiment jamais bénéficié. Lorsque des marges existaient, elles étaient souvent réinvesties dans d'autres "silos", car, vraisemblablement, nous ne sommes pas le "silo" favorisé par les politiques.

Que nous restait-il ? L'index, comme unique moyen de financer des nouveautés ou de corriger des inégalités. Mais ce n'est pas toujours optimal. Pour certains, c'est vécu comme un gain, pour d'autres comme une perte.
Prenons les prestations chirurgicales : de 2010 à 2020, nous avons perdu presque dix points d'index. C'est inadmissible.

Nous avons aussi subi une perte de représentation au Comité de l'assurance. La composition a été diluée avec l'ajout de nouveaux membres, ce qui fragilise notre place dans le système. Aujourd'hui, nous n'avons quasiment aucune majorité nulle part.

Dans la Commission paritaire médecins-hôpitaux, des mandats ont également été ajoutés pour des universitaires et des assistants, ce qui complique encore plus les votes.
Malgré tout, pour provoquer, je pose cette question essentielle : Qu'avons-nous réellement gagné pour améliorer les revenus ou la qualité de vie des médecins ? Ces dix dernières années, nous avons assisté à une dégradation massive. Le burn-out et la souffrance au travail explosent.

La réponse que j'attends à cette question est un engagement plus important et massif des médecins dans les organisations qui les représentent, pour peser plus sérieusement dans le débat. La politique de la chaise vide est toujours une mauvaise politique.

" Historiquement, l'Absym a souvent été perçue comme un syndicat d'opposition. "

Comment améliorer l'efficience et la communication au sein du syndicat médical ? Votre syndicat n'est-il pas trop corporatiste ?

G.B. : J'ai déjà mentionné la structure du syndicat. Je ne suis pas président, je suis médecin et engagé. À l'Union des Médecins (Absym-Bruxelles), nous respectons une démocratie interne avec des garanties de parité entre généralistes et spécialistes.

Au niveau fédéral, la parité entre les chambres composantes de l'Absym a été partiellement rompue, notamment chez les francophones. Cela crée un malaise pour certains membres.

Historiquement, l'Absym a souvent été perçue comme un syndicat d'opposition, défendant un modèle libéral et certaines spécialités plus que d'autres. Cela alimente une image de corporatisme.

Mais si j'étais président, je mettrais davantage l'accent sur une approche constructive, en travaillant avec les autres acteurs du secteur, et en prônant plus de transparence sur les financements et les positions. Nous devons changer notre manière de fonctionner. Trop souvent, nous nous positionnons dans une logique de blocage. Comme je l'ai dit, je défends plutôt une attitude de "oui, mais", pour trouver des solutions aux réformes nécessaires tout en protégeant les intérêts des médecins.

Mis à part les combats perdus, quels sont les combats à mener dans l'immédiat ?

G.B. : Nous devons nous concentrer sur trois axes principaux :

  • L'efficience : réduire les redondances et les gaspillages pour réinvestir dans les soins.
  • La revalorisation des consultations : une consultation de base doit être rémunérée de manière décente.
  • Le maintien des services essentiels, via le financement de la disponibilité et de la permanence. C'est crucial dans les Postes médicaux de Garde (PMG), mais aussi pour toutes les spécialités à l'hôpital et certainement par exemple pour les urgences, la pédiatrie et la maternité, l'anesthésie et les soins intensifs.
    La réorganisation est nécessaire, mais sans nuire à l'accessibilité pour les patients

Troisième partie

Quels leviers structurels devraient être activés pour réformer efficacement le système de soins de santé ?

Gilbert Bejjani : La réforme doit se concentrer sur plusieurs leviers structurels :
Le financement basé sur la valeur (Value-Based Healthcare) : Le constat est simple et mondial. Ce concept, développé par Michael Porter à Harvard , économiste de la santé, repose sur une idée clé : améliorer les résultats pour les patients tout en réduisant les coûts. Le livre de Porter définit la " valeur " comme étant le rapport entre les résultats obtenus (outcomes) et le coût total. On peut aussi inclure également des dimensions comme l'impact environnemental, par exemple le coût carbone.

En Belgique, nous avons un problème majeur : environ 10 % des hospitalisations sont associées à des complications ou à des infections nosocomiales évitables. Ces incidents sont un échec en matière de valeur ajoutée. Pourtant, nous sommes incapables de mesurer précisément le coût d'une opération à l'hôpital. C'est une lacune fondamentale.

Le modèle décrit également comment les hôpitaux peuvent être mieux organisés. Si nous voulons réduire les coûts, il faudra rationaliser des services comme les maternités, les urgences ou les unités d'oncologie, et réallouer les budgets à d'autres priorités.

Enfin, dans cette formule il apparait clairement qu'il faut pouvoir mesurer, le résultat mais aussi le coût. Il faut donc une base solide de données disponibles et une certaine intégration digitale forte.
La Belgique à la traîne

Sur une échelle de 1 à 10, où se situe la Belgique en termes de Value-Based Healthcare ?

G.B. : Nous sommes à 2/10 au maximum. Il n'existe pratiquement aucun incitant pour encourager les soins basés sur la valeur. Cela fait 30 ans qu'on en parle, mais rien ne bouge. Pour changer les choses, il faut transformer le mode de financement. C'est le bras de levier principal.

Nous devons également utiliser le bras normatif, par exemple en fixant le nombre d'accouchements pour les maternités, le nombre de lits aux soins intensifs, ou la taille d'un service d'urgence, mais aussi il faut concentrer les cancers lourds dans des centres d'excellence. Nous ne pouvons pas continuer à sur-financer ce qui rapporte peu de valeur ajoutée.

Il est crucial de répartir les tâches de manière plus rationnelle. Par exemple, il est absurde d'avoir six ou sept centres de chirurgie cardiaque à Bruxelles. Les grands centres devraient se concentrer sur les cas complexes, tandis que les petits hôpitaux pourraient gérer des pathologies plus simples. Cette rationalisation permettrait d'optimiser les ressources humaines et financières, tout en améliorant la qualité des soins.

Outre la value based, quels autres axes de réforme selon vous ?

G.B. :La subsidiarité. Mais nous en avons déjà parlé. La prévention, le dépistage, sont aussi des outils puissants. Il faut aussi utiliser l'innovation, les nouvelles technologies, pour réduire la charge de travail administrative ou de manière générale. Des dispositifs comme le monitoring à distance devraient être intégrés et rémunérés, car ils permettent d'éviter des hospitalisations inutiles.

L'intégration des outils numériques : Le mobile health et le suivi à distance, comme le monitoring des patients diabétiques ou post-AVC, offrent des solutions concrètes pour réduire les réhospitalisations et améliorer les soins. Ces technologies doivent être soutenues et financées.

Que faire pour pallier la pénurie de médecins ?

G.B. : La pénurie de soignants est un problème structurel majeur. Nous ne faisons rien pour la résoudre. Au contraire, la surcharge de travail et les conditions difficiles aggravent la situation.
Les jeunes médecins, confrontés à un volume de travail énorme, risquent de ne pas supporter ce rythme. Il faut :

  • Diminuer la charge de travail : Cela passe par une meilleure répartition des tâches entre soignants, en intégrant davantage les technologues, infirmiers et autres professions paramédicales.
  • Investir dans la formation et la revalorisation : Les jeunes médecins doivent être soutenus, tant sur le plan financier que professionnel. Cela inclut des mesures pour améliorer leur qualité de vie, réduire les risques de burn-out, et encourager la recherche et la formation continue.
  • Réorganiser les services : Tous les hôpitaux ne doivent pas offrir les mêmes prestations. Par exemple, regrouper les services de pédiatrie ou d'oncologie lourde dans des centres spécialisés permettrait d'alléger la charge sur certains établissements et de concentrer les ressources là où elles sont le plus nécessaires. Des systèmes de tri peuvent déjà diminuer la surcharge de travail des urgences.
    La pénurie est un problème systémique. Les jeunes médecins ne pourront pas supporter des volumes de travail aussi élevés, ce qui aggrave la crise. Pourtant, aucune mesure sérieuse n'est prise pour inverser la tendance.

Source : Le Journal du Médecin®